Le visage est doux, les yeux pétillants, et les cheveux, bleu-blanc-rose. Silhouette d’éternel adolescent, mais sourire apaisé d’un qui a beaucoup vécu, beaucoup traversé.
Mitch Altman, 56 ans, introduit ses conférences en donnant son adresse e-mail et son numéro de téléphone, et en précisant :
« N’hésitez pas à me contacter à tout moment, pour quelque raison que ce soit. Pour me poser des questions, pour un coup de main sur un projet, ou parce que vous avez besoin de parler, parce que vous vous sentez mal — je connais ça. »
De hackerspace en FabLab, partout autour du monde, Mitch Altman raconte son parcours. Il y a dix ans, avec quelques économies en poche, il a démissionné d’un boulot qu’il trouvait « seulement OK » pour mener, dit-il, une expérience sur lui-même : ne faire, pendant un an, que ce qu’il aimait vraiment. Son temps et son énergie, il décide alors de les consacrer à un projet qui lui trotte dans la tête depuis un bon moment : une télécommande universelle à… éteindre les téléviseurs dans les lieux publics. Ce sera la TV-B-Gone.
En 2004, il en fabrique 20.000, qu’il écoule en 30 semaines. Depuis, c’est ça qui le nourrit. Comme il le dit dans un éclat de rire : My name is Mitch Altman, I turn off TVs for a living, and I love my job.
« C’est ma définition du succès : en faisant ce que j’aime, je gagne de quoi continuer à faire ce que j’aime. »
Sa société Cornfield Electronics commercialise aussi la TV-B-Gone Pro, plus puissante (elle éteint les téléviseurs dans un rayon de 100 mètres) et déguisée en smartphone pour plus de discrétion, les Trip Glasses, pour faire de la méditation, et le Neurodreamer, un masque de sommeil qui émet de la lumière et du son pour orienter vos ondes cérébrales vers un spectre propice au repos. Toutes ses inventions étant sous licences Open Source, elles peuvent être améliorées par la communauté des utilisateurs (qui ont été nombreux à lui transmettre, au fur et à mesure, les codes d’extinction des téléviseurs arrivant sur le marché).
En 2008, avec Jacob Appelbaum, l’un des piliers du projet Tor, un réseau d’anonymisation en ligne, il a fondé Noisebridge, le hackerspace de San Francisco, dont la seule et unique règle est : Be excellent to each other. Y viennent chaque jour des centaines de personnes. On y fait de l’électronique, du logiciel, de la couture, de la cuisine, de la soudure à l’arc. Le lieu n’est jamais fermé, mais Mitch est toujours prêt à vous donner une clé, si vous promettez de passer. Quand je lui demande s’il envisage aussi son parcours, qu’il présente de façon très individuée, comme un modèle social, il répond qu’il n’en sait rien. Que c’est à chacun de savoir quelle vie il a envie de mener. Que si son expérience peut encourager d’autres personnes à faire ce qu’ils aiment et à aimer ce qu’ils font, alors, c’est bien. That’s what community is all about.
Dans les choses que Mitch aime faire, il y a la soudure. Et il y a le fait de l’apprendre aux autres. C’est pour ça qu’il a conçu des kits qui permettent de construire ses appareils, et qu’il a publié une BD, Soldering Is Easy, traduite dans toutes les langues (y compris le morse). Il prétend qu’il peut apprendre à souder à n’importe qui, qu’il l’a déjà fait avec 45.000 personnes.
Pour les 45.000 personnes, je ne sais pas, mais pour le reste, c’est vrai.
Samedi 20 juillet, au FacLab de Gennevilliers, après avoir écouté Mitch Altman raconter son histoire, j’ai acquis, pour la modique somme de 15 euros, un kit TV-B-Gone contenant un support de piles, un microcontrôleur, des diodes, des résistances, des transistors, un circuit imprimé (et toute cette sorte de choses).
Mitch a commencé l’atelier par une petite démonstration. Allumer le fer, le passer sur l’éponge avant chaque soudure, chauffer la pastille et la broche, glisser le fil d’étain, souffler pour éloigner la fumée, couper la broche au-dessus de la bosse de soudure. Ça n’avait pas l’air trop compliqué.
Dans les faits, il y a quand même un coup de main à trouver. Toujours est-il que deux heures plus tard, j’étais devenue l’heureuse propriétaire d’une TV-B-Gone en parfait état de marche. Mon fidèle écran n’y a d’ailleurs pas résisté. Tremblez, voisins ! Le prochain qui, de l’autre côté de la rue, regarde un blockbuster toutes fenêtres ouvertes avec le son un peu trop fort s’expose à ce que son appareil ait une défaillance soudaine.
La devise de Noisebridge est : We teach, we learn, we share. Enseigner, apprendre, partager. J’aime infiniment le beau mot anglais d’empowerment, dont aucune traduction française — « capacitation », « émancipation », « autonomisation » — n’arrive véritablement à rendre compte, parce que c’est tout cela à la fois. Mais s’il devait avoir un visage, celui souriant et volontaire de Mitch Altman ferait bien l’affaire.
Il était aux jardins numériques rennais l’année dernière, un homme selon mon coeur. Merci pour cet article. Et ce blog. Bonne continuation.
Mitch Altman est incroyable à rencontrer. J’étais au FacLab samedi et ce qui est le plus dingue c’est qu’il sourit tout le temps et qu’à la fin on est remotivé pour un bon moment. Merci au FacLab et merci pour cet article.