Le week-end dernier, le magnifique espace du Centquatre, dans le 19e arrondissement parisien, accueillait la seconde Maker Faire française (Saint-Malo en ayant eu la primeur, en mode « mini », à l’automne dernier).
Malgré une météo quasi estivale et un prix prohibitif (12 euros en prévente, 15 sur place, pas de tarif réduit sauf pour les enfants1), l’événement a attiré quelque 7.500 curieux. Nettement moins qu’à Rome, où le Palais des Congrès avait accueilli 30.000 visiteurs il y a huit mois, mais au moins les Parisiens ont-ils pu profiter d’une terrasse accueillante pour se rafraîchir au cidre et à la bière bretonne (le FabShop, sis en Ille-et-Villaine, étant coproducteur de l’événement, la région Bretagne était clairement à l’honneur ; on aurait pu plus mal tomber).
Comme toujours dans les événements « brandés » Maker Media, on y a croisé un mélange d’amateurs passionnés, de structures associatives, de startups en plein essor et de représentants du big business bien compris — Roland et ses machines-outils, Microsoft ou Intel. De quoi, sans doute, laisser songeurs quelques esprits un peu chagrins quant à la portée véritablement subversive (et disruptive, comme on dit dans les milieux autorisés) du mouvement maker — je renverrai ici, puisqu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, à mes propres comptes-rendus de la Maker Faire de Rome pour Les Inrocks et ici même, ainsi qu’au billet (grognon) de ma petite camarade Sabine Blanc. L’éclosion des fab labs est aussi un enjeu économique et politique, avec sa part d’effet de buzz et ses imprimantes 3D en goguette au JT (c’est aussi ça, le passage au grand public). Après tout, on a déjà vécu ça avec Internet.
Reste que lorsqu’on s’y promène en badaud, même avec un tour de cou « logotisé » Leroy Merlin (partenaire « Gold » manifestement envahissant), une Maker Faire a toujours de quoi émerveiller le grand enfant qui sommeille en nous (ou qui ne s’est jamais endormi). Sélection partielle (et partiale) de projets, au gré des stands.
• Biobot
Prendre soin d’une plante, c’est du boulot. Et même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas toujours lutter contre un hiver fatal, un printemps sans lumière ou une dramatique absence de « main verte » (ça arrive, on en connaît). Deux étudiants de l’Ensci-Les Ateliers, Antoine Berr et Carlos Santana, ont donc développé Biobot, une serre interactive connectée, bardée de capteurs, pilotable via un microcontrôleur Arduino, qui permet de bichonner ses amis à feuilles en contrôlant la lumière, la température et l’humidité. Grâce à une campagne de crowdfunding réussie à l’hiver dernier, le binôme développe des kits à monter soi-même. Le matériel est Open Source, les logiciels aussi. En attendant un site web digne de ce nom, on peut prendre des nouvelles du projet sur Facebook et Twitter. Et imaginer un jour d’y faire pousser ses tomates (ou autre chose).
• InMoov
Le côté sympathique des rassemblements de makers, c’est qu’on s’y recroise d’une ville à l’autre. Depuis Rome, InMoov, le robot humanoïde Open Source du Français Gaël Langevin, ne sait toujours pas marcher (ses jambes sont en cours de construction), mais il a de nouvelles mains et un estomac flambant neuf. Et toujours ce regard déroutant… Quant à la communauté qui le développe, elle ne cesse de croître : près de 600 membres à ce jour. Il y a quelque chose d’assez émouvant à le voir grandir. À la prochaine, InMoov !
• Poppy
Quelque part entre InMoov et Nao, voici Poppy ,dont les papas sont cinq étudiants bordelais de l’Inria. Poppy est léger et mobile comme un enfant de deux ans, dont il a la taille (84 cm de haut) et la morphologie — ce qui lui permet de porter de petites baskets, comme tous les enfants de son âge. (Il faut avouer que c’est un peu troublant.) Le projet est Open Source, les pièces du squelette et de la tête peuvent, comme pour InMoov, être fabriquées sur une imprimante 3D grand public. Pour avoir Poppy chez vous, il vous en coûtera tout de même aux alentours de 7500 euros de composants. Mais vous pourrez avoir le plaisir (ou l’angoisse…) de le voir vous suivre du regard, car Poppy est un adepte de la reconnaissance faciale. Encore faudra-t-il qu’il soit bien disposé à votre égard — alors que j’essayais vainement d’attirer l’attention du robot, Steve Nguyen, l’un de ses concepteurs, m’a averti : livré à lui-même, Poppy « fait un peu ce qu’il veut ». À son âge, ça promet.
• MiniCut2d
« Le chaînon manquant entre la découpeuse vinyle et l’imprimante 3D », d’après son concepteur, Renaud Iltis. La MiniCut2D est une machine de découpe à fil chaud pour plaques de polystyrène, pilotée par ordinateur. Le logiciel, moins complexe d’utilisation qu’un programme de modélisation en 3D, permet de vectoriser des dessins — y compris des monstres tout droit sortis de cerveaux d’enfants — avant de leur donner vie, ou de créer des pièces qui, assemblées, permettront d’obtenir des objets en trois dimensions (un avion, par exemple). L’idée est séduisante, le résultat, plutôt convaincant, et on comprend vite le potentiel pédagogique et ludique de l’outil, d’autant qu’il existe des passerelles avec le logiciel de 3D Sketchup et le logiciel de programmation pour enfants Scratch, développé par le MIT.
Petit bémol… mais pas des moindres : si la MiniCut2d est disponible en kit à un prix pas excessif (700 euros), les plans n’en sont pas librement accessibles (le projet était censé passer en Open Hardware mais les dépôts sur GitHub ont tout simplement disparu). Quant au logiciel, il est certes gratuit mais, sauf erreur de ma part, pas libre non plus (et il ne tourne pas sous Linux). Bref, même si les réalisations se partagent sur un site collaboratif, l’esprit do-it-yourself et ouvert de l’affaire a, à ce stade, ses limites. Dommage.
• PancakeBot
C’est beau, ça sent bon, et ça promet des soirées crêpes nettement plus créatives que la moyenne. La PancakeBot vient de Norvège et sort du cerveau gourmand de Miguel Valenzuela, qui en a fabriqué le premier modèle à partir d’éléments piochés chez LEGO Mindstorms (les plans et instructions sont disponibles en libre téléchargement, avis aux amateurs) ; le second, tout récent, a une structure en acrylique et fonctionne avec un microcontrôleur Arduino. On espère que les plans seront bientôt disponibles en Open Source, histoire de pouvoir frimer avec nos pancakes en forme de tour Eiffel.
• Les Fabriques du Ponant
Spécial copinage, mais pas uniquement. Ce n’est pas juste parce que c’est l’ami Pierre Allée qui le coordonne : le projet des Fabriques du Ponant a de la gueule. Porté par Les Petits Débrouillards (réseau d’éducation populaire « à la science et par la science »), la Maison du libre et Télécom Bretagne, ce grand fab lab de 1000 m² ouvrira ses portes à la rentrée dans les locaux du lycée Vauban de Brest. Avec, en plus des habituelles machines-outils, un biohacklab pour travailler les biotechnologies, un showroom dédié à la culture scientifique et technique, une salle pédagogique, un studio vidéo et un café où s’attabler pour refaire le monde version 2.0. Et imaginer un projet de KouignAmannBot ? Vivement, vivement ! (Et bon vent !)
• Et aussi…
1/ Deux objets dégotés au stand de CKAB, startup spécialisée dans l’Internet des objets, et revendeur d’imprimantes 3D MakerBot : un pot à crayons constitué de décimales de pi (bienvenue chez les geeks) et une pieuvre « antistress » imprimée au fil souple NinjaFlex.
2/ Une charmante grenouille à disséquer conçue par Bulb Zone. Ça tache moins qu’une vraie ! (Et c’est moins cruel.)
3/ Ankou, un crâne en lévitation (oui oui) imaginé par le studio d’art & design AoGitsune. Existe aussi en version luminaire (livré en kit à monter soi-même) sous le petit nom d’Edmond.
4/ Un des panneaux du joli projet « À l’ombre d’Alice » du Théâtre d’ombre mécanique de Redon. Low-tech, mais résolument DIY.
5/ Le scanner à livres de La Quadrature du Net, qui a tourné à plein régime tout le week-end. Son voisin de stand lui a même offert un déclencheur à pédale — le partage n’est pas un vain mot.
6/ La Malinette, une malette pédagogique Open Source développée par le collectif marseillais Réso-nance numérique, croisé il y a à peine 15 jours au LFO, le fab lab de la Friche Belle de mai…
7/ Bretagne en force : le LabFab de Rennes et la:matrice, l’espace de coworking de Saint-Brieuc, avaient aussi fait le déplacement.
8/ Et le selfie du week-end (#sorry), en compagnie du tigre en peluche, absolument pas DIY mais complètement irrésistible, des P’tits Doudous de l’hôpital Sud, qui interviennent auprès des enfants hospitalisés au CHU de Rennes.
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- L’entrée à Rome était moins chère, mais les exposants y payaient leur stand — il y a toujours une sélection quelque part, hélas. ↩
Le gros potentiel semble être toutefois du côté des imprimantes 3D.
Cf. cet article de fond : Rumpala Yannick, « L’impression tridimensionnelle comme vecteur de reconfiguration politique », Cités 3/2013 (n° 55),
URL : http://www.cairn.info/revue-cites-2013-3-page-139.htm